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  • Tendre baptême

    Mon premier salon du livre a eu lieu hier, 7 octobre (Saint Serge !) à Aumale, en Normandie et aux portes de la Picardie.

     

    J’avais préparé une petite phrase à l’attention de la chanteuse québécoise Fabienne Thibeault, connue pour son interprétation de Starmania : « Vous avez bercé mon adolescence. » Quand je la vois, je sors ma phrase d’une traite. Elle a dû entendre ce genre de choses je ne sais combien de fois. Mais quand quelqu’un a à ce point été le Vladimir Cosma du film d’une partie de sa vie, et qu’on a l’occasion de le lui dire, je crois qu’il faut le faire. Au moins pour soi.

     

    J’étais dans ce salon avec soixante dix-neuf autres auteurs, parmi lesquels Joseph Farnel, mon père. Il faudrait que je lui redemande combien de livres il a écrit, entre romans, polars, sagas, nouvelles et j’en passe… Je m’y perds moi-même. Au cours de la journée, personne ne m’a fait le coup du « Tu écris, tu fais comme ton père. » Sacré tact ! Et pourtant… En me trouvant dans cette hall au beurre d’Aumale, en voyant mon père affairé avec ses lecteurs, je prenais conscience que je venais de pénétrer dans ce monde qu’il fréquente depuis près de trente ans maintenant. Celui des sorties d’écrivains un peu partout en France. Je le regardais discrètement pour qu’il ne s’en aperçoive pas et me disais : « J’y suis à nouveau. » Où, me demandez-vous ? Un instant. Je vais vous le dire. Mais sachez d’abord que quand j’étais petit, genre mètre-étalon, je suivais mon père partout en vacances sur la plage, comme si je n’avais pas entièrement confiance en la capacité des objets à produire une ombre à tous les coups. Alors oui, j’y étais à nouveau en ce 7 octobre, pas dans son ombre, non (lui vous met plutôt en lumière), mais à la place de son ombre, le meilleur endroit pour le suivre partout à nouveau.

     

    Nous allons déjeuner. En face de moi, à table : Yves Bonnet. En personne ! Pour ceux qui l’ignorent, il s’agit de l’ancien directeur de la DST, ancienne dénomination des services secrets intérieurs français. Bigre. J’aurais fait de la politique, je me serais senti Talleyrand face à Fouché dans le « Souper », la pièce de théâtre de Brisville. Ça, c’était pour étaler ma culture… Mais bon, il n’est plus aux affaires. Donc on se décontracte. Sauf que… Bon sang ! Il porte exactement la même veste que moi : veste en velours côtelée grise. Nous voilà comme deux femmes portant la même robe au cours d’une soirée, robe dont le vendeur leur a pourtant juré qu’elle était absolument unique. On s’observe. Non, c’est bon : ma veste a des côtes plus grandes que la sienne. Comme les fringues de la penderie de Mathieu dans le roman « La malicieuse revanche d’un souffre-douleur », vous savez, ce lui que j’ai présenté au salon. Ça, c’était pour la pub. Pas la même veste, donc. On repose les flingues.

     

    On retourne dans la halle au beurre. J’apprends à connaître mes lecteurs. J’observe leur rencontre avec mon livre : l’objet, puis le texte quand ils décident d’en lire un passage. Je suprends une personne le lire et sourire : mince alors, ça marche. Mes mots viennent de provoquer un mouvement discret de ses lèvres et de ses fossettes. Et tout cela sans fil !

     

    Nous rentrons sur Paris. Dans le bus, un auteur est assis au fond du car sur le siège du milieu. Embouteillage aux portes de la capitale. Le véhicule freine brusquement. Et notre écrivain de se tenir fermement au siège pour éviter la téléportation vers la place du chauffeur. « Vous avez failli nous faire une sacrée figure imposée ! » « Oui, me répond-il, je me suis mis là pour allonger mes jambes… » « … et les effets secondaires du mal de jambes auraient pu être autrement plus sérieux. » Je lui sers alors une blague un peu réchauffée que je me plais à servir à qui veut l’entendre, à savoir que le traumatisme crânien est l’effet secondaire du lumbago, en ce que les médecins suggèrent à ceux qui souffrent de mal de dos de faire du dos crawlé. Ma blague a le succès qu’elle mérite. Je ne dis pas de quelle nature. Et alors je me dis que ça va être compliqué à gérer, tout de même, les discussions entre écrivains. Je suis sûr qu’on doit tous éviter de dire certains bons mots auxquels on tient et qu’on réserve pour nos écrits.

     

    Paris. Je me rends au magasin « Perles de pluie » que des amis sud-africains viennent d’ouvrir quelques jours plus tôt. Il se trouve au 10 rue Léopold Belland, en haut de la rue montorgueil. Allez-y, n’hésitez pas. C’est un endroit où vous trouverez des choses de toutes sortes, ingénieuses, jolies, d’économie solidaire, respectueuses de l’environnement, et tout ça dans un cadre que je qualifierais d’anarchie soignée. Allez vous y perdre un instant. Croyez-moi. Je n’ai aucun intérêt dans ce magasin et je vous dis ça plus pour la qualité de ce que j’y ai vu que par amitié pour eux, quand bien même cette dernière est bien là. Alors que je bois un verre avec eux, un de leurs amis se passionne pour ma veste, s’interrogeant sur son année de fabrication. Et narquois, d’hésiter entre les années 70 et 80. Je le regarde et je me dis alors : « Toi, t’as de la chance d’être tombé sur moi et pas sur l’ancien chef de la DST ! »

     

    Serge Farnel

     

    « La malicieuse revanche d’un souffre-douleur » (Serge Farnel) est paru le 6 septembre aux éditions Mazarine-Fayard.

     

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